Pour un transhumanisme marxiste

« Je suis un homme du 21° siècle accidentellement lâché dans le 20°. J’ai une profonde nostalgie du futur »

 « Si mourir est “naturel” alors au diable la nature. Pourquoi se soumettre à sa tyrannie ? Nous devons nous élever au dessus de la nature. Nous devons refuser de mourir »

fm2030.us

 

Le transhumanisme est peu connu en France, et beaucoup de ceux qui utilisent le mot font comme s’il allait de soi que c’était un repoussoir. Malheureusement, la « gauche » joue un grand rôle dans cette vision manichéenne…

Extrait publié sur le site de l’Association française transhumaniste

Transhumanisme : de quoi s’agit-il ? D’un courant qui voit dans les nouvelles technologies un potentiel positif pour dépasser notre condition humaine actuelle. Par exemple l’amélioration du corps humain via la génétique, la bionique ou les nanotechnologies, l’utilisation de la cryonie, la perspective du téléchargement de l’esprit

Disons d’emblée que l’humanité a déjà commencé à se transformer : mise en place de prothèses, d’implants cochléaires pour redonner l’audition à certain-e-s…[1] On peut certes répondre que ces opérations ne font que “réparer”, et ne relèvent pas d’une volonté transhumaniste. Mais la frontière est-elle nette ? Un artiste anglais, qui est incapable depuis la naissance de percevoir les couleurs, s’est fait implanter un œil-capteur qui traduit les couleurs en sons, et n’hésite pas à revendiquer être un cyborg.[2] Un caprice ou une merveilleuse possibilité ?

Contre les préjugés technophobes

Nous transhumanistes, sommes bien conscients d’être une minorité, face à une société plutôt hostile à ce genre de manipulations de la nature, et où l’imaginaire dystopique est bien plus hégémonique que l’utopie. Les transhumanistes nomment en général leurs détracteurs les “bioconservateurs” ou “néo-luddites” (en référence au luddisme du 19e siècle, mouvement anti-machines).

Dans ces “bioconservateurs” se retrouvent aussi bien des gens de gauche que de droite, des militants du mouvement ouvrier que des bourgeois. Lorsque des arguments rationnels sont avancés, des différences assez nettes apparaissent entre détracteurs de gauche et de droite. Mais la plus grande part du rejet du transhumanisme s’exprime par des opinions assez spontanées, des préjugés. Et dans ces préjugés, les “bioconservateurs” apparaissent davantage comme un groupe avec des points communs.

 Voici quelques exemples de réactions quasi automatiques :

  • Il ne faut pas se prendre pour Dieu”, ou une version plus laïque “Il ne faut pas jouer aux apprentis sorciers”. Mais en réalité, depuis que nous maîtrisons le feu, depuis que nous mettons des tuteurs sur nos plantations, depuis que nous appliquons des techniques de PMA, nous sommes des apprenti·es. Et malgré toutes nos erreurs, ce n’est pas sorcier. Il n’y a pas de principe, il faut seulement décider ce que nous voulons faire ou ne pas faire en fonction de critères sensés.
  • “Si la nature est faite de cette façon, c’est qu’il y a une raison.” Cet argument d’autorité est incroyablement résistant alors qu’il ne tient plus depuis longtemps. En cas d’appendicite, on retire un organe tout à fait “naturel”, et on s’en porte a priori mieux. Le darwinisme explique l’évolution par un “tâtonnement”, mais ne garantit pas que les êtres vivants sont optimisés. Au contraire, la mort d’espèces par sélection naturelle suppose que celles ci se sont retrouvées inadaptées. Et au delà du temps long de l’évolution biologique, l’évolution sociale créé de nouveaux besoins et de nouvelles possibilités (médicaments, chirurgie laser des yeux…) dont on aurait tort de priver.
  • “On s’ennuierait si l’on était immortel” : Ne serait-ce pas une phrase pour se rassurer et accepter son sort ? Souvent, il s’agit juste d’une phrase paraissant spirituelle, donnant une image de sérénité, de “prise de recul” philosophique. Mais, tout comme les humains semblent s’être assez bien adaptés à l’allongement de l’espérance de vie, rien ne permet d’affirmer qu’ils souffriraient de vivre plusieurs siècles.

Le transhumanisme est une approche qui prend le contre-pied de certains conservatismes, donc qui apparaît forcément comme provocateur.[3] Mais pour des militant·es qui se réclament du matérialisme, il devrait être quelque chose de tout à fait concevable.

Le syndrome 1984 ou Gattaca

Pourtant, la gauche contemporaine est majoritairement méfiante envers les innovations techniques. C’est sans doute l’effet de plusieurs facteurs :

  • La crainte d’un immense pouvoir de contrôle des populations par les États, après les expériences totalitaires du 20ème siècle. Les notions de transhumain / posthumains font penser à “l’homme nouveau” des régimes staliniens et au lavage de cerveau… L’eugénisme fait penser aux nazis, ou plus largement aux pratiques de stérilisation forcée des personnes handicapé·es qui ont duré jusqu’à récemment dans les “démocraties”.[4] La peur d’une société de contrôle à la 1984 en somme.
  • Dans un autre registre, le transhumanisme soulève des craintes en rapport avec, disons, la lutte des classes. Étant donné que ne nous connaissons que notre société de classe avec son “libre-marché”, les conséquences inégalitaires que l’on peut imaginer sans peine sont insupportables pour des militant·es communistes. Aujourd’hui, l’écart d’espérance de vie entre un capitaliste d’un pays riche et un paria d’une semi-colonie peut aller jusqu’à 40 ans. Demain serons-nous toujours une seule humanité ? Dans quelle classe sociale seront les humains augmentés ? La réponse est dans la question. Cela fait bien sûr penser au film Bienvenue à Gattaca dans lequel les humains génétiquement sélectionnés sont les dominants, les autres, restés naturels, les prolétaires.
  • La crainte d’une aliénation causée par l’incapacité de comprendre les techniques que nous utilisons (effet “boite noire”).
  • La crainte que le transhumanisme nous détourne de l’humanisme.
  • La crainte d’une destruction de l’environnement causée avant tout par “la technique”. Même si les communistes contemporains critiquent au moins autant l’usage de la technique par le capitalisme, tout un courant à l’extrême gauche cible “la société industrielle”, en adoptant des positions de principe contre la plupart des techniques modernes.
Gattaca

Toutes ces craintes sont fondées. Mais pas fondées sur la technique en soi. Comme le dit James Hugues, « le luddisme de gauche assimile à tort les technologies aux relations de pouvoir autour de ces technologies »[5]. Dans ce texte très pertinent, ce transhumaniste de gauche décrit l’évolution des socialistes et des démocrates, du positivisme des 18e et 19e siècles vers un bioconservatisme dominant après la Seconde guerre mondiale.

Dans la plupart des dystopies futuristes, ce qui est cauchemardesque est en réalité la division de la société en classes, et la technique n’est qu’un moyen par lequel cette division saute aux yeux. On ne lutte pas contre les villes verticales stratifiées (pauvres dans les abysses, riches en haut) en luttant contre les gratte-ciel. On ne lutte pas contre un monde à la Elysium (riches en orbite, pauvres sur Terre) en luttant contre le lancement de fusées. Dans Gattaca, le scénario donne l’impression que la technique génétique est elle-même la cause des inégalités, car les parents font deux choix différents, procréation naturelle pour leur premier enfant et sélection génétique pour le deuxième, et ce sont ces choix qui vont conduire leurs enfants dans deux classes différentes. Alors que le risque principal de l’eugénisme en société capitaliste, c’est l’accès inégal aux techniques de sélection qui seraient plus chères. Dores et déjà, ce sont effectivement des gens riches qui se sont fait cryogéniser et qui sont les premiers touristes de l’espace. Lorsque que l’on pourra faire des copies de sauvegarde de son cerveau, on peut facilement imaginer qui seront les premiers à se les payer.

Le risque d’une prise de pouvoir par des fascismes est bien réel, mais il existait avec le niveau technique des années 1920 et 1930 et il existera demain avec tous les niveaux techniques imaginables… tant que le capitalisme et ses crises affligeront le monde. Là encore, la technique est une toile de fond, un ensemble de potentialités, et la pathologie, c’est la domination bourgeoise. On ne lutte pas contre la NSA et la DGSI en boycottant les ordinateurs.

Les technologies que l’on ne maîtrise pas entraînent-elles forcément une aliénation ? Le premier problème de cet argument est qu’il fait oublier que l’humanité est née au milieu d’une nature dont elle ne comprenait au départ strictement rien. Là où il n’y avait pas de boîtes noires, il y avait des boîtes vertes. Il est assez évident que cela reste, encore aujourd’hui, un immense facteur d’aliénation. Combien de superstitions ont leur origine dans des phénomènes naturels inexpliqués ? L’immense majorité des courants ésotériques fait preuve de technophobie et s’appuie sur des pseudo-sciences (astrologie, alchimie, médecines alternatives…)[6]. Une fois cette mise au point faite, on peut reconnaître que l’effet “boîte noire” peut poser des problèmes aussi. Il nous oblige à “faire confiance” à d’autres humains. Dans une société capitaliste, c’est évidemment problématique : les chercheur·ses des laboratoires pharmaceutiques sont sous pression de la logique de profit, les États et les opérateurs téléphoniques sont dans une logique de contrôle… Nous avons donc de bonnes raisons de nous méfier. Mais cette part d’aliénation est “sociale”, et n’aurait pas de raison d’exister dans une société communiste. Par ailleurs, la forte réduction du travail nécessaire, la généralisation des formations de qualité et la possibilité d’exercer plusieurs activités différentes à volonté permettrait d’avoir des connaissances globales dans de nombreux domaines, et de réduire l’effet boîte noire.[7]

Le transhumanisme peut-il nous détourner de l’humanisme ? Certains courants le peuvent. Tout comme il existe des dérives anti-humanistes chez les naturalistes (l’écologie profonde, l’éco-malthusianisme, l’éco-fascisme…). Et tout comme des réactionnaires peuvent être anti-humanistes au nom de principes religieux. Mais le danger réel ne réside pas tant dans une idéologie que dans les rapports de pouvoir, issus là encore de notre société de classe. Si la GPA comporte un risque[8] d’oppression des femmes pauvres par des libertarien-ne-s riches, c’est la conséquence d’un rapport de classe. Si un État autoritaire utilisait pour la répression le puçage des humains et la robotisation de la police, ce serait un nouveau fruit pourri des société des classes.

Le problème écologique est une réalité. Mais pour des communistes, il devrait être clair que le contrôle de la production par une société sans classe, la suppression de la concurrence pour le profit, et donc la fin de l’aliénation consumériste, réglerait l’essentiel des problèmes environnementaux. Le transformation économique et sociale impliquerait une reconfiguration des techniques (plus de durabilité et de réparabilité, moins d’obsolescence), y compris l’abandon de certaines (énergies fossiles), mais cela n’aurait rien d’une “désindustrialisation”.

On peut rejeter telle ou telle technique avec tout un tas de raisons. C’est lorsque qu’on dérive vers un discours généralisant sur “la technique” que l’on fait fausse route, vers la technophobie (la science est le mal) ou le scientisme (la science réglera tout).

Où est le camp progressiste ?

Nolan

Le transhumanisme est-il progressiste ou réactionnaire ? Il faut sans doute admettre que ce positionnement ne recoupe pas les clivages traditionnels.

Aux États-Unis, on différencie déjà le “progressisme sur les questions sociétales” du “progressisme sur les questions sociales”, avec le diagramme de Nolan. Même si les libertariens (comme Nolan) font de la propagande bourgeoise quand ils nomment “liberté économique” l’axe social, le fait de représenter ces 2 dimensions se justifie. En France, nous gardons traditionnellement le seul clivage entre droite (pro-patronale et conservatrice) et gauche (pro-ouvrière et pro-libertés individuelles). Ce qui est clairement insuffisant pour décrire la réalité.

Il faut néanmoins remarquer que les forces politiques ne sont pas positionnées aléatoirement sur ce diagramme. Il y a des raisons objectives qui font que, par exemple, le courant libertarien ne sera jamais majoritaire : une société capitaliste repose sur la violence et conduit, en temps normal, les classes moyennes et supérieures à réclamer de l’État le “maintien de l’ordre”.

Quoi qu’il en soit, en suivant la même logique, on peut définir un nouvel axe à partir du clivage transhumanisme / luddisme, comme le fait James Hugues[9] :

3d-nolan

Alors progressistes les transhumanistes ? Une fois que l’on a défini ces axes, on peut répondre que… ça dépend.

Concernant les libertés individuelles, elles et ils sont en général opposé·es aux conservateurs. On trouvera par exemple une plus grande ouverture à la déconstruction des normes, d’où un grand intérêt pour le “transgenrisme”[10] et pour le droit des femmes à disposer de leur corps (ce qui affole bien sûr les traditionalistes). Ou encore un intérêt lorsque l’activiste gay Randy Wicker prône le droit au clonage pour “rendre obsolète le monopole historique de l’hétérosexualité sur la reproduction”. La principale organisation transhumaniste se veut “solidaire des minorités sexuelles, culturelles et raciales, particulièrement avec les minorités morphologiques telles que les handicapés et les transsexuels”. Cela dit, il est très clair que le milieu transhumaniste, qui est très majoritairement masculin, produit une imagerie sexiste.

On pourra par exemple regarder avec intérêt et même amusement l’allocution de Laurent Alexandre, qui expose ouvertement les perspectives transhumanistes devant un auditoire de… la Manif pour tous.[11] On peut aussi constater, avec moins d’amusement, que la technophobie peut aussi créer des passerelles vers la réaction, comme le montrent les trajectoires de Jérôme Leroy, d’Alexis Escudero (Pièces et main d’œuvre)…

Sur les drogues, le courant est bien entendu libéral, allant même jusqu’à prôner, tout simplement, la fabrication de meilleures drogues, avec moins d’effets secondaires. Et pourquoi pas ? L’alcool sans gueule de bois est peut-être plus proche qu’on ne le pense. Et il est temps d’avoir un peu plus d’imagination que d’associer systématiquement toute idée de recherche de plaisir par la chimie au soma du Meilleur des mondes.

Dans un registre plus lointain, les transhumanistes affirment que lorsque des intelligences artificielles seront mises au point, elles devront avoir les mêmes droits que les humains (et ils accusent par avance les néo-luddites de racisme humain – une forme de spécisme). Ils considèrent que c’est la capacité de penser et se projeter qui doit être estimée, et à ce titre sont d’accord avec les pro-choix contre les pro-vie qui sacralisent les fœtus humains. Ils en tirent aussi la conclusion qu’il faut, spécifiquement, “des droits pour les grands singes, les dauphins et les baleines”.

Autre exemple notable, lorsqu’a eu lieu une “implant party” à Paris (implantations de puces RFID sur des volontaires – pour déverrouiller leur mobile, leur porte et faire du paiement sans contact), les réactionnaires traditionnels ont réagi violemment en exigeant des interdictions : Bompard[12] (Ligue du Sud), Asselineau (UPR)[13]

Dans le registre des néo-réacs, on trouvera aussi Causeur qui, après une pseudo-analyse, trouve nécessaire de réaffirmer que l’homme naît “avec un sexe, des poils et une histoire qu’il n’a ni planifié ni fabriqué, mais recueilli,  comme on reçoit une aumône.”[14] Quant aux réactionnaires chrétiens, ils peuvent tomber d’accord avec les critiques du transhumanisme venant d’autres bords politiques, mais ont beau jeu de dire qu’ils représentent la vraie opposition frontale.[15][16]

Une idéologie de classe ?

Mais qu’en est-il sur le clivage « socio-économique » ? Disons le d’emblée : il est clair qu’il n’y a pas d’affinités spontanées avec le mouvement marxiste. Il faut cependant aussitôt rappeler qu’il n’y a pas non plus d’affinités spontanées entre féminisme, combats des LGBTI, antiracisme, écologisme et marxisme. Et le marxisme devrait mieux que toute autre grille de lecture aider à comprendre pourquoi : spontanément, c’est la pensée dominante qui prévaut, celle-ci pouvant accepter des variantes « de gauche » mais naturalisant toujours la société capitalisme.

Une attitude correcte de la part des marxistes consisterait donc à considérer le transhumanisme comme un mouvement relativement autonome, certes spontanément « interclassiste » (comme tant d’autres), mais au sein duquel on retrouvera nécessairement des clivages engendrés par la lutte des classes. 

Pourtant, ce qui domine à gauche aujourd’hui, c’est une pensée qui au mieux est indifférente, au pire amalgame totalement le transhumanisme au capitalisme. Certains technophobes n’hésitent pas à accuser tout simplement le transhumanisme d’être une idéologie ultra-capitaliste. Pour Jordi Vidal « ils occupent des postes clés à l’université et dans les complexes militaro-industriels qui quadrillent et contrôlent aujourd’hui la planète »[17].

Factuellement, les meneur·ses du mouvement sont bien souvent des universitaires ou des artistes, vivant plutôt dans les pays riches. Mais c’est un constat qui s’applique à la plupart des meneur·ses, des mouvements féministes aux mouvements écologistes en passant par le mouvement ouvrier. Le transhumanisme est présent dans une (petite) partie de ces couches sociales, et se diffuse notamment parmi les geeks des classes moyennes. Le cœur historique est la Sillicon Valley.

Kurzweil

Un des arguments avancés pour discréditer le transhumanisme consiste à relever que parmi ses meneur·ses il y a des membres hauts placés dans des entreprises, notamment des secteurs des “NBIC” (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives). En effet, on peut citer Ray Kurzweil (informaticien devenu directeur de l’ingénierie chez Google) ou Martine Rothblatt (PDG de United Therapeutics, femme au revenu le plus élevé des États-Unis, et par ailleurs née homme[18]). Tout comme le mouvement du logiciel libre est aussi embrassé par de nombreux patrons[19].

L’origine libertarienne du transhumanisme

En l’état actuel du transhumanisme, il faut reconnaître que le mouvement est dominé par une approche individualiste.

 Le premier courant à voir le jour a été le courant libertarien, qui a pris le nom “d’extropianisme” : parution du Extropy magazine en 1988, rédaction des Principles of Extropyen 1990, fondation du Extropy Institute en 1992. L’Extropy Institute s’est auto-dissout en 2006, mais ses idées sont globalement restées dominantes.

 

En 1998 est fondée la World Transhumanist association (WTA), en parallèle de l’internationalisation grandissante du mouvement.

Il s’agit d’un courant scientiste, qui développe une monomanie technophile qui l’amène à se désintéresser de tout autre sujet politique, et à affirmer que ces clivages seront dépassés. Les thèses libertariennes ont été adoptées de façon assez logique :

  • contexte de quasi-disparition des courants lutte de classe aux États-Unis
  • impression d’un antagonisme fondamental entre liberté individuelle et communisme, notamment sous l’effet du stalinisme
  • tendance à la proximité entre gauche, écologisme et bioconservatisme
  • le bioconservatisme ambiant alimente l’idée que la priorité est de promouvoir la liberté individuelle plutôt que de construire un mouvement populaire
  • impression de symbiose entre liberté individuelle accrue et libre-marché, notamment dans les classes moyenne et supérieure

Pourtant, il faut rappeler qu’aux origines du mouvement, il y a surtout une sorte d’utopisme, plutôt qu’un cynisme bourgeois. Par exemple, le précurseur américano-iranien FM-2030 envisageait “la complète élimination de l’argent et du travail”, dans une société régie par une démocratie directe par voie électronique, tout en ayant dépassant les rivalités raciales et nationales.[20] On appelle parfois cette sensibilité “libertarianisme de gauche”, en faisant le pont avec l’anarchisme. Mais étant donné l’absence de stratégie révolutionnaire, cela se rattache davantage au socialisme utopique, et en l’occurrence, au courant saint-simonien. L’utopie d’une sortie graduelle du capitalisme est parfois envisagée par la généralisation des robots, parfois aidée d’une charité des millionnaires.

Dans leur élan, des utopistes comme FM-2030 imaginaient que la nouvelle perspective transhumaniste (celle des « Up-wingers », partisan·es de l’élévation de l’humanité) allait remplacer celle des « left-wingers » et des « right-wingers ». Laurent Alexandre soutient lui aussi que les partis traditionnels vont être redécoupés selon les lignes “bioconservateurs” / “transhumanistes”. Mais les transhumanistes seraient naïfs de croire qu’eux-mêmes sont une fraternité / sororité à l’abri des clivages. Si demain un mouvement fasciste gagne les États-Unis, tous les transhumanistes seront-ils du même côté ? Une guerre mondiale s’imposerait à tous les transhumanistes quel que soit notre idéal cosmopolite. Et de même, dans le cas d’un mouvement révolutionnaire des classes populaires, il faudra choisir son camp… C’est bien parce qu’il ne partageait pas ce genre d’illusion que James Hugues a proposé son diagramme à 3 axes politiques. Plus récemment (2021), il a même opéré un retour critique, en constatant que le positionnement sur l’axe « technopolitique » est en fait étroitement corrélé à l’axe « culturel ».

Le tournant social-libéral

Entre 2004 et 2006, une ligne plus “social-libérale” menée par James Hugues l’emporte sur le courant libertarien.[21] En 2004, James Hugues et Nick Bostrom créent l’Institut pour l’éthique et les technologies émergentes (IEET), qui se revendique du “technoprogressisme”, une approche transhumaniste, mais qui prend en charge une réflexion sur les problèmes éthiques, sociaux, environnementaux… Le mouvement n’affirme plus que le clivage TH/BioCons efface les autres clivages, mais s’y ajoute (cf. diagramme 3D plus haut).

En 2008, la WTA change de nom pour Humanity+ pour se revendiquer davantage dans la continuité de l’humanisme. L’organisation édite un journal nommé H+. Un équivalent français, nommé également H+, vient de paraître depuis juillet 2015.

Les transhumanistes vivent bien (pour l’instant) dans la même société que nous, et à ce titre ont des interrogations communes. Dans un article, un auteur fait part d’une discussion autour de la plus grande menace sur l’avenir de l’humanité : est-ce le réchauffement climatique ou le flicage ?[22]

En tous les cas, il n’y a pas d’issue individuelle face à ces menaces bien réelles. Le repli dans le consumérisme est une possibilité pour certains secteurs favorisés, mais ne peut pas être un idéal humaniste largement partagé. Il est impératif de révolutionner la société. Pour cela, les transhumanistes doivent couper les ponts avec la vision libertarienne qui associe “collectif” à “État”, et oppose “liberté individuelle” et “égalité sociale”.

Humanity+ est capable d’écrire que “le mouvement doit se soucier de donner un accès égal aux technologies d’amélioration humaine, au-delà des classes et des frontières”[23]. Une préoccupation louable, mais qui pour des communistes est impossible… tant qu’il y aura des classes !

Or il est clair que la plupart de celles et ceux qui gravitent dans les mouvements transhumanistes n’ont aucun sentiment d’appartenance à une classe exploitée. Cela vaut bien sûr pour la poignée de riches figures du transhumanisme (des cyniques comme Thiel ou Musk, ou des philanthropes), mais également pour le « gros des troupes » qui appartient majoritairement à la petite bourgeoisie.

Cela se traduit par un discours qui reste dans les bornes du capitalisme, même si Hugues peut évoquer Marx et finir un texte par “Transhumanistes de tous les pays, unissez-vous!” Hugues parle de “social-démocratie moderne”, que nous, marxistes, appelons “social-libéralisme” car il n’a plus rien du réformisme social-démocrate originel. Il s’agit seulement d’une volonté de régulation par l’État, même si ses aspects utopiques lui donnent des aspects plus intéressants que les partis bourgeois qui gèrent le système. Par exemple, ce courant assume la destruction des emplois par les machines, et propose un revenu universel de base pour s’y adapter.  Il se détourne aussi des libertariens de façon pragmatique en comptant sur l’État pour “garantir que les post-humains ne sont pas persécutés”. Et au passage il leur décoche une flèche bien visée : « les transhumanistes néolibéraux sont incohérents lorsqu’ils plaident pour le marché libre qui serait “naturel” alors que les transhumanistes sont les champions de l’artificiel. »

Le marché reste néanmoins l’horizon indépassable, puisque James Hugues compte aussi sur l’État… pour lutter contre les monopoles privés qui freineraient l’innovation. Au contraire ! Il est temps d’en finir avec l’absurdité de la concurrence dans la production, les services, la recherche… Il faut un seul opérateur internet, mondial, efficace, et gratuit, une seule agence spatiale, un seul réseau de laboratoires pharmaceutiques, robotiques, génétiques… L’émulation par la course au profit a fait son temps, la division entre groupes humains d’entreprises ou de nations différentes appartient à la préhistoire. Les transhumanistes devraient comprendre, mieux que les bioconservateurs, que le choix est entre monopoles privés ou monopoles autogérés, entre « evil megacoporations » du monde cyberpunk ou transhumanité maîtresse d’elle-même.

Quelle perspective ?

L’élaboration d’une perspective communiste transhumaniste est non seulement possible, mais c’est la plus souhaitable des perspectives transhumanistes. La diffusion de techniques de plus en plus puissantes dans une humanité déchirée par la lutte de classe, sans possibilité réelle de choix démocratique, contient les germes de nombreuses nouvelles horreurs. Mais en face de ces dystopies, nous voulons aussi imaginer les utopies possibles. Non seulement parce que nos valeurs ne sont pas celles des bioconservateurs, mais aussi parce que cela permet de situer le combat communiste où il est vraiment, et d’en souligner l’urgence.

Il paraît très peu probable que les visions les plus technophobes (de certains courants décroissants notamment) emportent l’adhésion des masses. A mon avis James Hugues a raison de dire que “le luddisme de gauche est ennuyeux et déprimant, il n’a aucune énergie pour inspirer des mouvements pour une société nouvelle et meilleure.” Mais pour la même raison, il exagère quand il avance que la “prochaine gauche” pourra se “reconnecter à l’imagination populaire” en avançant une utopie transhumaniste. Dans la société actuelle, cela ne fera pas rêver tout le monde.

La révolution communiste suppose un mouvement de masse, qui a toutes les chances, si l’on est réaliste, de comporter un fort courant bioconservateur. Paradoxalement, c’est la condition pour créer une société où, à mon humble avis, le bioconservatisme tomberait rapidement aux poubelles de l’histoire.

« Quand il en aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme travaillera sur lui-même dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme un produit physique et psychique semi-achevé. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui, plein de contradictions et sans harmonie, frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse. » Léon Trotsky, novembre 1932 

« Nous ne soutenons pas que le socialisme puisse résoudre tous les problèmes de la race humaine. Nous luttons tout d’abord contre les problèmes qui sont créés par l’homme et que l’homme peut résoudre. Trotsky parlait ainsi des trois tragédies dont souffrait l’humanité : la faim, le sexe et la mort. La faim est l’adversaire dont le marxisme et le mouvement ouvrier moderne relèvent le défi […]. Oui, le sexe et la mort poursuivront encore l’Homme Socialiste ; mais nous sommes convaincus qu’il sera mieux équipé que nous pour leur faire face. » Isaac Deutscher, De l’Homme Socialiste, 1966


 En savoir plus sur le transhumanisme

Réactions par rapport au transhumanisme

Précurseurs

Transhumanistes libertariens

Transhumanistes religieux

Si la majorité des courants religieux sont bioconservateurs, il existent des courants qui se revendiquent transhumanistes :

Transhumanistes démocratiques / technoprogressistes

Techno-progressivism, Democratic_transhumanism, IEET

James Hughes, Didier Coeurnelle

Différents champs


[1] Cochlear.com, Qu’est-ce qu’un implant cochléaire?

[2] Dezeen, Interview with Neil Harbisson, 2013

[3] Certains l’assument d’ailleurs totalement, comme lesmutants.com

[4] En 1950, 33 États américains sur 50 possédaient des lois eugénistes telles que la stérilisation des handicapés. Celle-ci était pratiquée en Suède jusqu’aux années 1970.

[5] James Hugues, Democratic transhumanism 2.0, 2002

[6] Même si l’on trouve des courants qui combinent ésotérisme et discours transhumaniste, comme les raëliens ou le mouvement Terasem.

[7] Si de plus on imagine que le rêve transhumaniste d’immortalité est atteint, on peut supposer qu’une grande partie de la société deviendrait polymathe.

[8] Cela n’implique pas, à mon avis, d’interdire la GPA. Cf. GPA, pour une autorisation réglementée

[9] James Hugues, Democratic Transhumanism 2.0, 2004

[11] TECHNOMATERNITÉ ET TRANSHUMANISME par Laurent Alexandre

[12] http://iatranshumanisme.com/2015/07/03/assemblee-nationale-un-depute-reclame-linterdiction-des-implants-de-puces-nfc/ 

[13] http://iatranshumanisme.com/2015/09/12/francois-asselineau-exige-linterdiction-planetaire-du-pucage-des-etres-humains/

[14] Causeur, Transhumanisme : vers l’obsolescence de l’homme?, Décembre 2014

[15] Réinformation, Les apories de la critique progressiste du transhumanisme. L’Obs et le nouveau scientisme, 2015

[16] La Réforme, Que pensent les protestants du transhumanisme ?, 2014

[17] Jordi Vidal, Servitude & simulacre en temps réel et flux constant, 2007

[18] Lisa Miller, The Trans-Everything CEO, New York Magazine, 2014

[19] CNET, Open source: It’s about capitalism, not freebies, 2009

[20] James Hugues, Citizen Cyborg, Basic Books, 2004

[21] William Saletan, Among the Transhumanists, Slate,‎ 4 juin 2006

[22] H+ Magazine, What is the Greatest Threat to Humanity?, 2014

[23] Alyssa Ford, Humanity: The Remix, Utne Magazine,‎ mai-juin 2005

11 réflexions sur “Pour un transhumanisme marxiste

  1. Bonjour
    Il est évident que ce texte (et ce blog) partagent un point de vue diamétralement opposé au mien. Pour reprendre les concepts du texte : je suis pour « l’autonomie », ET pour « la délivrance ». Tout le texte repose sur l’idée qu’ils sont en contradiction. Je n’en suis pas convaincu (euphémisme).
    Salutations

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  2. Un article très intéressant, je rejoins la plupart de ces réflexions. Il y a deux points cependant sur lesquels je suis en désaccord : 1) Les technologies n’ont pas d’impact sur les idéologies. Qui peut croire aujourd’hui que la télévision, les ordinateurs et internet n’ont pas changé notre façon de penser ? Sans parler du fait que certains considèrent que le communisme comme le capitalisme sont nés en partie de l’industrialisation de la société (elle-même possible grâce à des progrès technologiques). 2) La tendance marxiste de croire que tout est lié aux rapports de classe… Non la destruction de l’environnement n’est pas due qu’au capitalisme et à la consommation de masse, l’URSS nous l’a bien démontré.

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  3. 1) Où est-ce qu’il est dit que les technologies n’ont pas d’impact sur les idéologies ? Cela peut sembler sous-entendu quand on présente des diagrammes avec des axes orthogonaux comme le diagramme de Nolan, mais personnellement je suis d’accord avec l’idée que la base technique (les forces productives etc.) ont une forte influence sur les rapports de production et donc sur les idéologies. Mais on peut aussi, sur la base d’un même niveau de développement des forces productives, changer les rapports de production pour changer les idéologies.

    2) Je ne pense pas que tout est lié aux rapports de classe (notamment l’oppression des femmes par exemple). Mais dans le cas de la crise environnementale je pense que c’est à 99% le cas. Et le contre-exemple de l’URSS n’est pas valable à mon avis. L’URSS n’était pas une société qu’on peut étudier de façon isolée, et elle était largement influencée par le monde capitaliste. En l’occurrence son productivisme me semble directement lié à la course (inter-impérialiste) aux armements avec le bloc de l’Ouest. Et même en analysant l’URSS isolément : ce n’est pas une société socialiste « dépassant le capitalisme ». Donc cet exemple ne permet pas d’invalider l’idée qu’une vraie société socialiste autogestionnaire pourrait résoudre la crise environnementale.

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  4. Durant la Guerre froide, les USA et l’URSS étaient les plus grand pollueur du monde. De la Chute du Mur à l’élection de Trump, c’était les USA et la Chine … qui sont aussi les pays les plus volontaristes dans le recours aux énergies renouvelables.

    Franchement, je pense que le problème dépend surtout de la volonté des dirigeants. La société la plus apte à pratiquer le développement durable serait une vraie démocratie (pas une particratie) avec des pouvoirs publics efficients (pas impuissant) dont les électeurs sont éduqués dans le respect du développement durable.

    Ni le capitalisme, ni l’économie socialiste n’induisent pas de facto des comportements anti-écologiques même si ce genre d’incrimination facile arrangent bien les propagandistes des deux camps. Au lieu de critiquer les « verrues » de ceux qui sont différents, pensons le développement durable et faisons des propositions concrètes. Comme Mélenchon et les capitalistes suédois par exemple.

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    • Je suis au contraire convaincu que le capitalisme implique structurellement pollutions et gaspillages (comme le décrit cet article par exemple https://tendanceclaire.org/article.php?id=448 ) Et pour l’anecdote, c’est exactement ce que Iain Banks dit dans l’extrait cité ici : https://genrehumain.wordpress.com/2018/05/06/lutopie-de-la-culture-iain-m-banks/

      Une vraie démocratie ? D’accord, mais c’est quoi ? Et comment se passer des partis pour éviter une « particratie » comme vous dites ?

      Pour moi le capitalisme est antinomique avec la vraie démocratie, car il soumet les moyens de production (qui sont d’une puissance sans précédant depuis la révolution industrielle) à la loi du marché au lieu de décisions collectives. Le socialisme réel, ce serait la vraie démocratie, remplaçant les patrons et les politiciens (qui font partie de la même classe sociale) par un peuple égalitaire et éclairé, et s’étendant à l’économie (planification contrôlée au plus près des besoins).

      Avec cette définition, l’URSS, qui était dirigée par une minorité bureaucratique défendant ses privilèges, n’était pas du « socialisme ».

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  5. Je ne suis ni marxiste, ni transhumaniste mais j’avoue éprouvé une sympathie croissante pour les transhumanistes marxistes de ce site, comme ce fut le cas pour les écosociétalistes. Ce que je vais dire pourrait choquer les transhumanistes marxistes mais cela me semble nécessaire pour leur éviter de s’engager dans un cul de sac médiatique. C’est que j’aspire à ce que quelqu’un propose une conception plus eudémonique du transhumanisme que celles des libertariens.

    J’ai un certain intérêt pour l’anarchisme comme pour le transhumanisme. J’ai pu constater que les anarchistes de gauche et les anarchocapitalistes passent plus de temps à se chamailler et se dénier la qualité d’anarchistes qu’à promouvoir l’anarchie. C’est que les anarchistes de gauche assimilent avant tout les anarchocapitalistes à des capitalistes qui eux-même, assimilent avant tout les anarchistes de gauche à des marxistes. Leur querelle paraît d’autant plus absurde que les deux camps se complèteraient efficacement au sein d’une panarchie. C’est oublier que l’anarchisme n’est pas une forme de système politique mais un principe qui inspire différents systèmes. L’appartenance des anarchistes de gauche et des anarchocapitalistes à un même courant anarchiste est donc surestimée et leurs luttes ne sont pas si intestine qu’on pourrait le croire.

    Les transhumanistes, eux, font tout le contraire des anarchistes. Ils voient les transhumanistes de toutes obédiences comme des transhumanistes avant tout et les soutiennent face aux critiques. Cette tendance est bien illustrée par ce site qui vole au secours des technolibertariens en toute occasion, réfutant systématiquement toutes les critiques. Les opposants, prétendus bioconservateurs, sont forcément irrationnels, technophobes et rérogrades. Faut-il comprendre que, pour les transhumanistes marxistes, les technolibertariens ont la bonne approche du transhumanisme ? Dans ce cas, autant adhérer à l’accélérationnisme, le marxisme réformé de Srnicek et Williams. Sinon, il faut cesser d’assimiler les technolibertariens à un courant frère du transhumanisme marxiste.

    L’aspiration commune des leaders technolibertariens est le développement de technologies d’augmentation avec le soutien financier des pouvoirs publics puis leur commercialisation chez la clientèle solvable. Pour maximiser leur liberté d’action, ils souhaitent l’instauration d’Etat minarchiste ou d’anarcapie. Les pauvres n’auront aucune garantie d’accès aux nouvelles technologies. C’est une conception marchande du transhumanisme qui ne profiterait qu’à un petit nombre à long terme. C’est là que les transhumanistes marxistes pourraient faire la différence. Mais encore faudrait-il qu’ils lachent les transhumanistes libertariens et qu’ils ne fassent pas une fixette sur la lutte de classe. « Transhumaniste » n’est pas une étiquette facile à porter. « Marxiste » ne l’est pas plus. Sans un peu pragmatisme et de flexibilité tactique, les transhumanistes marxistes relegués aux oubliettes de l’histoire par le mouvement accélérationniste.

    Les transhumanistes marxistes devraient proposer un système socio-économique concret dans lequel les individus collaboreraient pour développer, produire et fournir à chacun l’accès auxs technologies d’augmentation.

    Quelques indices :

    https://jardindechangeuniversel.wordpress.com/

    https://www.ekopedia.fr/wiki/Écosociétalisme

    http://www.ecosocietal.org/articles.php?lng=fr&pg=26

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_technocratique

    https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2017-v36-n1-ps02914/1038773ar/

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  6. Je ne comprends pas tout ce que vous dites sur l’anarchisme. D’un côté vous semblez reprocher aux anarcho-socialistes et aux anarcho-capitalistes de perdre du temps à polémiquer entre eux, et de l’autre vous dites que le lien entre eux semble « surestimé ». Je ne suis pas anarchiste mais la plupart des anarchistes répondront que le capital est un pouvoir au même titre que l’Etat (et d’ailleurs leurs rapports peuvent évoluer mais ils ne sont pas dissociables) et que « l’anarcho-capitalisme » n’a donc aucun sens. Et je serai d’accord avec eux.

    Vous dites que ce site soutient les techno-libertariens. Ce n’est pas vrai. Je pense qu’il faudrait exproprier et socialiser les grandes entreprises high tech. Un géant comme Google doit être contrôlé démocratiquement. Un capitaliste comme Elon Musk fait rêver de nombreux transhumanistes parce qu’il est actuellement un des seuls à utiliser son pouvoir pour aller un peu plus vite vers le futur, mais il n’empêche que je voudrais exproprier Elon Musk, et je ne suis pas sûr qu’il apprécierait. Je ne crois donc pas qu’on peut dire que les transhumanistes marxistes et les transhumanistes libertariens sont comme « frères »… Vous dites que si les techno-libertariens pouvaient imposer leur modèle, il n’y aurait plus de garantie d’accès aux technologies pour les pauvres. Mais… c’est déjà le cas : il n’y a aucune garantie.

    Ce qui est critiqué dans cet article, c’est la façon dont la gauche et l’extrême gauche aujourd’hui (particulièrement en France) critiquent les transhumanistes (en les connaissant très peu, en les réduisant à un bloc homogène ultra-capitaliste…). Parce que cette gauche ne parvient pas à différencier ce qui est futurisme/transhumanisme souhaitable et ce qui est déformation/limitation par le capitalisme. Ma position : quand on critique un techno-libertarien, il faut le critiquer en tant que libertarien, pas en tant que technophile.

    Cela veut dire que je reconnais avoir des points communs avec des transhumanistes libertariens ? Oui, une partie des thèmes transhumanistes. J’imagine que vous vous considérez comme moi comme écologiste. Or, dans le mouvement écologiste, très très divers, il y a forcément des gens qui ne sont pas du même bord politique que vous. Vous avez cependant des points communs avec eux. Plutôt que de s’enfermer dans un clivage « frères » ou « pas frères », je pense qu’il vaut mieux raisonner en termes d’axes orthogonaux comme dans le schéma reproduit dans l’article ci-dessous.

    Enfin, comment voulez-vous que les marxistes arrêtent de faire une fixette sur la lutte des classes ? Autant demander à un artiste de ne pas faire une fixette sur l’art 🙂

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    • J’ai effectivement été mal compris:

      1) Ce n’est pas moi qui ait relevé que les anarchistes de droite et de gauche se complèteraient dans une panarchie mais des partisans de la panarchie dont je ne fais pas partie. Je comprend justement pourquoi il n’arrive pas à s’entendre parce que je vois les détails par dessus lesquels passent la plupart des gens qui raillent leurs chamailleries (et qui ne se soucient généralement pas de savoir comment ils pourraient s’associer).

      2) Je peux comprendre que les marxistes traditionnalistes ne puissent pas passer par dessus la lutte des classes. C’est leur droit. J’ai simplement relevé que d’autres marxistes, les accélérationnistes, sont plus pragmatiques. Je constate que les transhumanistes marxistes ont déjà rompu avec « l’orthodoxie » de leur courant en ne rejettant pas le transhumanisme. C’est à eux de décider ce qui est le plus important: parler de lutte des classes ou marquer des points auprès de l’opinion.

      3) Je ne sais pas où, sur ce site, les transhumanismes marxistes ont proposé la socialisation de l’une ou l’autre part de la netarchie (GAFA, NATU, BATX). L’opposition des transhumanistes marxistes aux technolibertariens ne m’a pas paru évidente puisqu’apparemment, aucun argument des autres opposants du technoLIBERTARIANISME ne semblent trouver grâce à leurs yeux. Ce n’est pas une critique: je relève un problème de communication en tant que lecteur extérieur. Après, c’est à vous de voir.

      4) Je suis conscient qu’il n’y a que peu de garanti d’accès aux technologies pour les pauvres. Pour exemple, un demandeur d’asile reçoit un GSM en France mais est-ce le cas pour les sans-abris? Si les technolibertariens imposent leur modèle dans le futur, c’est sûr, il n’y aura plus aucune aide pour personne. Il me semble n’avoir jamais rejetté les technologies d’augmentation mais bien l’approche purement marchande des technologies d’augmentation qui amène des injustices. Et d’avoir relevé que, curieusement, toute critique contre l’extrémisme économique des (techno)libertariens soient de facto assimilé à du néoluddisme. J’ai justement l’espoir que les transhumanistes MARXISTES, eux, fassent des propositions pour une approche plus sociale du transhumanisme.

      5) Je suis un partisan du développement durable et donc d’un système économique aussi écologique que possible. C’est pour moi un impératif de survie, pas une préférence idéologique. Je ne pense pas que cela suffise à faire de moi un écologiste et je ne suis pas un militant ou un sympathisant des partis écologiques. Je reproche plutôt à la majorité de ces partis d’avoir incité l’opinion publique à ne pas prendre les problèmes écologiques au sérieux en faisant trop souvent du « cirque médiatique ».

      6) Qu’est-ce qu’une vrai démocratie pour moi? Il est vrai que je ne suis pas rentré dans les détails mais je pourraient répondre par une question: Qu’est-ce qu’une gestion démocratique d’un GAFA? Pour moi, la République de Genève est une démocratie en construction parce qu’elle admet le référendum d’initiative populaire ainsi que l’élection directe des législateurs, des mandataires exécutifs et des principaux magistrats. Elle a donc dépassé le stade d’une particratie, d’un régime où la souveraineté apparient dans les faits à des mandataires élus sans forcément avoir atteint le plus haut perfectionnement de la démocratie. Pour moi, la démocratie comporte plusieurs volets en plus de la démocratie représentative: démocratie référendaire, démocratie participative, enseignement des droits individuels (dont les droits sociaux), information sur un certains nombres de sujet par différents canaux. C’est pour cela que certains rares pays sont des démocraties en construction mais pas des démocraties modèles.

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      • 1) D’accord je comprends mieux.
        2) Vous croyez vraiment que l’on touche plus le grand public avec le transhumanisme qu’avec la lutte des classes ? Je ne suis vraiment pas convaincu… Factuellement la CGT c’est beaucoup, beaucoup plus d’adhérents que le mouvement transhumaniste. (Et pour ma part je pense que le marxisme originel était bien plus transhumaniste que ce qu’il est devenu depuis quelques années, cf. par exemple l’édifiante citation de Trotsky qui clôt cet article, donc je ne pense pas être en rupture avec l’orthodoxie marxiste, enfin pas sur ce point).
        3) Vous avez raison cet article ne développe pas beaucoup les mesures concrètes (comme la socialisation des GAFA etc.), et je compte le compléter sur ce point. Cela dit ce sont des mesures qui découlent de la définition même du communisme, et qui sont évoquées rapidement dans ce paragraphe :

        Il est temps d’en finir avec l’absurdité de la concurrence dans la production, les services, la recherche… Il faut un seul opérateur internet, mondial, efficace, et gratuit, une seule agence spatiale, un seul réseau de laboratoires pharmaceutiques, robotiques, génétiques… L’émulation par la course au profit a fait son temps, la division entre groupes humains d’entreprises ou de nations différentes appartient à la préhistoire. Les transhumanistes devraient comprendre, mieux que les bioconservateurs, que le choix est entre monopoles privés ou monopoles autogérés, entre « evil megacoporations » du monde cyberpunk ou transhumanité maîtresse d’elle-même.

        4) Eh bien ces propositions existent déjà : le communisme. Le problème est que le mouvement communiste (je ne parle pas du cadavre du PCF mais du communisme que défend – assez mal – un parti comme le mien, le NPA) est aujourd’hui très affaibli et donc méconnu. C’est un problème d’ordre politique (quelle stratégie pour renverser le système capitaliste qui maintient ces inégalités. Et c’est justement là que l’on ne peut pas faire l’économie de la lutte des classes.

        5) Oui enfin le mouvement écologiste ne se réduit pas à « Europe écologie les Verts », tout comme le communisme n’est pas représenté par Pierre Laurent et le transhumanisme par Ray Kurzweil. René Dumont par exemple n’avait rien à voir avec Jean-Vincent Placé.

        6) C’est un vaste sujet, et très intéressant. Pour le dire très vite, je ne suis pas convaincu qu’on puisse raisonner « indépendamment » sur les formes démocratiques, sans les penser dans leur cadre socio-économique. Concrètement ; il y a une lutte des classes (encore), et si on ne la voit pas, si on ne la prend pas en compte, on ne comprend pas pourquoi les Constitutions avec les principes les plus beaux du monde ne suffisent pas à faire une société heureuse (eudémonique si vous voulez). On peut distribuer tous les pouvoirs et contre-pouvoirs que l’on veut, tant que la classe dominante disposera du pouvoir économique et tout ce que cela entraîne (capital culturel plus élevé, domination médiatique, temps libre et sur-représentation parmi les élus, corruption illégale ou non…) je ne crois vraiment pas que l’on aura une « démocratie en construction ».

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  7. Oui, je considère que les transhumanistes feront au moins autant d’émules que la CGT dans les dix années à venir. C’est que la CGT fait du bruit en fin (quel bilan des grèves?) et perd sans cesse plus d’adhérants. Les transhumanistes sont très critiqués mais ils sont de mieux en mieux perçus par le patronat (sources de croissance potentielle) et se vendent beaucoup mieux auprès de la jeunesse (oeuvres de fiction comme Eclipse phase).

    Quant aux marxisme, il cessera d’être un repoussoir si les technomarxistes font bien passer la distinction entre eux et les staliniens. Parler de développement de la démocratie et de la façon dont une économie socialiste non stalinienne peut contribuer au développement durable me semble plus productif que de mettre la lutte des classes au centre de tous les débats. Après tout, tout le monde veut survivre et protéger ses droits mais qui est intéressé par la guerre civile?

    Je poursuit avec une précision sur ma conception de la démocratie: j’accorde beaucoup d’importance à la démocratie pédagogique et cognitive. Donner le référendum d’initiative populaire à une personne d’éducation ultralibérale et mal informer des problèmes de la société apporte des améliorations mais pas toutes les améliorations nécessaires. Ce n’est pas pour rien que c’est la Norvège et non la Suisse qui occupe la première place au classement IDHI. Pour moi, le développement de l’entrepreneuriat coopératif et multisociétaire ainsi que le soutient aux branches presbytérienne des cultes sont aussi des fondements de la démocratie. Ma conception de la démocratie n’est donc pas déconnectée de la réalité « socio-économique ».

    Sinon, je suis globalement d’accord avec ce que vous dites mais serait-il possible de préciser quelle type de communisme devrait être mise en oeuvre et comment il garantira concrètement l’accès des pauvres à la haute technologie? A ce sujet je n’ai pas reçu de réponse sur la façon dont les GAFA « nationnalisés » devraient être gérés démocratiquement. J’aimerais donc réagir à l’idée que l’échec de l’URSS était imputable au fait qu’elle ait pratiquée l’économie planifiée (pour les capitalistes libéraux ») ou au fait qu’elle ait été trop capitaliste (pour les marxistes). Les deux ont tout faux.
    L’URSS a d’abord pratiqué le communisme de guerre (1918-1921) qui n’est qu’une économie de razzia. Les vikings et les sarrasins n’étaient ni capitalistes, ni marxistes. L’URSS a ensuite pratiqué la NEP (1921-1928) : c’est au départ de l’ultralibéralisme économique dans ses pires aspects et ensuite une économie plus social-démocrate grâce au développement et à l’autonomisation du secteur coopératif. Les résultats de la seconde moitié de la NEP (1925-1928) ne sont pas assimilables à un échec au regard du bilan du communisme de guerre et de ce qui la suivra. On passe ensuite à une économie planifiée scientifiquement mais axée sur le développement de l’industrie lourde (1928-1941) : le bilan industriel et militaire est probant, le bilan humain atroce.

    Après la période d’économie de guerre (1941-1946), les autorités prennent d’avantage en compte la satisfaction des besoins vivriers. La trop grande centralisation de la gestion économique et la spécialisation excessive des territoires provoquent des pénuries. Les responsables prennent l’habitude de truquer leur inventaire et garder une partie de leur production pour pouvoir troquer en période de pénurie. La peur des sanctions limitent la transmission d’information utile. Par contre, un certain nombre de percées technologiques sont réalisées. L’automatisation industrielle n’a cessé de s’améliorer de 1960 à 1970. En 1972, les calculateurs soviétiques étaient supérieurs à ceux de la NASA. La technologie soviétique a beau avoir été raillé, les impératifs de développement durable poussent les capitalistes d’aujourd’hui s’intéressent beaucoup à certaines technologies soviétiques.

    Rappelons-nous que l’économie inca était une forme d’économie collective. Rappelons-nous qu’au USA, le Tennesse Valley Authority a mis en place une véritable planification économique régionale. Était-ce des échecs ? Si l’on met ses exemples en vis-à-vis avec la seconde moitié de la NEP et les percées technologiques soviétiques, il n’est pas évident que l’économie capitaliste ou socialiste mène inévitablement à l’échec. Non, les contreperformances socio-économiques de l’URSS, durant les plans cinquennaux, découlaient du mépris des besoins vitaux de population, d’un manque de décentralisation, d’un manque de diversification économique régionale. Le gouvernement central, trop occupé à essayer de tout gérer, ne s’est pas concentré sur le contrôle des stocks et la distribution des surplus de production. Et si l’URSS avait été un Etat démocratique non répressif ? L’histoire se serait déroulée de la même manière ?

    Je suis convaincu qu’à l’avenir un projet de DEMOCRATIE technomarxiste pourraient devenir d’autant plus séduisant que les pénuries de matières premières et d’énergie imposeront de toute façon une forme de rationnement et de contrôle de leur emploi. Mais encore faut-il que les technomarxistes apprennent à se vendre…

    A lire :
    https://autogestion.asso.fr/la-revolution-russe-et-les-cooperatives/
    http://informatiqueguerrefroide.e-monsite.com/pages/1-l-informatique-1/l-avancee-decisive-des-etats-unis/une-avance-en-urss-tres-rapide-mais-tres-courte.html

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